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Le roman psychiatrique d’André Breton
16 janvier 2004
par Michel Thuilleaux
Michel Thuilleaux est Psychiatre Praticien Hospitalier honoraire - 64100 BAYONNE
Si André BRETON demeure le chef de file incontestable du mouvement littéraire surréaliste en France, on a moins parlé d’un aspect « médical » de sa biographie.
A. BRETON était médecin et eut contact avec la psychiatrie de son temps, ce qui lui donna occasion de parler de certains aspects de cette discipline et de faire lien avec une certaine psychanalyse.
Dans quelle mesure ses propos à ce sujet furent-ils vérifiés ?
Y a-t-il un rapport entre ceux-ci et ses théories littéraires ?
Et davantage : y a-t-il un rapport entre ces propos et ces théories d’une part et ses productions artistiques de d’autre part ?
Nous voudrions même aller un peu plus loin et nous demander s’il y eut dans son existence un événement ou des éléments qui éclaireraient ses démêlés (car il y eut d’étonnants démêlés) avec la psychiatrie officielle contemporaine.Quelques éléments biographiques
André BRETON est né le 18 février 1896 à Tinchebray(Orne) dans un milieu modeste de couvreurs en paille.
Elevé durant les premières années de sa petite enfance par un grand-père taciturne à St Brieux, qui est dit-on malgré cela, un bon conteur.
Ses parents s’installent à Pantin où il les rejoint lorsqu’il vient d’avoir 5 ans. Il suit ses études secondaires au Collège Chaptal, obtient son baccalauréat. En 1913, il commence ses études de médecine. C’est ce côté qui va nous intéresser. Nous négligerons donc tout un côté littéraire que l’on retient davantage habituellement puisque bien sûr, c’est l’écrivain que l’histoire conserve.
Il est affecté à l’hôpital militaire de Nantes en 1915, après avoir été reçu au certificat de PCN (qui deviendra celui de PCB, puis de 1ère année de médecine aujourd’hui).Il rencontre Paul ELUARD au cours d’une permission à la Première des Mamelles de Tirésias d’APOLLINAIRE (1917), puis poursuit des cours de « Médecine auxiliaire ». Il passe quelque temps au « Centre psychiatrique de IIè armée ». C’est là qu’il fait l’expérience de « certains états hypnagogiques ». Et c’est « le souvenir de l’accélération du débit verbal chez certains malades mentaux et l’étude des communications médianimiques » qui concourent à la mise au point de l’écriture automatique au sens que lui prêtera le surréalisme (Gérard LEGRAND - Préface à Poésie et Autre 1960).
C’est en tant qu’étudiant en médecine qu’il rencontre Louis ARAGON au Val de Grâce. Ils y poursuivent leur études de médecine, mais pas plus qu’ARAGON, André BRETON n’exercera, car ils se sentent une vocation littéraire dans le Paris effervescent de l’après guerre. Partie prenante dans diverses agitations, BRETON se désintéresse du mouvement Dada que TZARA importe à Paris. Il se mêle à un procès contre Maurice BARRES « accusé de crime contre la sûreté de l’esprit » qui provoque de grands remous dans la salle des sociétés savantes. La même année, BRETON aurait rendu visite à Sigmund FREUD à Vienne (1921). Il fait alors des expériences de « sommeil hypnotique ». Dans quelle mesure BRETON avait-il compris FREUD sur ces aspects particiliers ?
En tout cas, il tente aussi des déambulations à pieds au hasard de villes choisies sur une carte routière, avec ARAGON, MORISE et VITRAC. Ils abandonnent vite cette tentative qui semble dériver dangereusement.
BRETON essaie de diriger une revue : "La Révolution surréaliste", qui veut soutenir ce mouvement, mais se dévoie vite dans la politique.
Après une polémique violente contre Anatole France accusé de « cadavre », puis contre MARTIN du GARD qui l’aurait calomnié (mise à sac des Nouvelles littéraires où Martin du GARD avait écrit), BRETON envoie diverses lettres d’injures à des journalistes qui le provoquent en duel.En 1928, il écrit avec ARAGON une note « sur le cinquantenaire de l’hystérie ».
Nouvelle bagarre en 1930 dans un café le « Bar Maldoror » dont l’enseigne lui paraît injurier LAUTREAMONT. BRETON participe à divers mouvements violents. Notons, à son honneur, qu’il dénonce une tentative de putsch fasciste en 1934. Rappelons qu’il fut tantôt engagé communiste, puis un farouche dénonciateur de ce parti.
En 1939, il est mobilisé comme médecin, affecté à l’école d’aviation de Poitiers, puis démobilisé en 1940. En 1941, il réussit à gagner la Martinique puis les Etats Unis où il visite des réserves indiennes.
De retour en France, BRETON participe encore à quelques actions violentes en s’opposant à une conférence de TZARA qui le traite de contre révolutionnaire ; contre les « impératifs politico-militaires » ; contre Garry DAVIS, le citoyen du monde, dénoncé pour « publicité personnelle » ; contre la condamnation de grévistes espagnols ; contre l’imprimeur d’un texte ; contre « la guerre d’Algérie, gluante de pétrole, débauche de crimes » ; pour les objecteurs de conscience, etc...Le surréalisme restera vivant quelques années après la mort de BRETON (1966), mais seulement comme mouvement littéraire, entendons d’écriture. Ses relations avec la psychiatrie ne semblent plus avoir alors d’expression évidente.
Remarques sur les liens entre André Breton et la psychiatrie
Notons tout d’abord que BRETON eût une expérience officielle théorique avec cette discipline. Nous avons vu qu’il a effectué des stages d’étudiant « sérieux » dans des services psychiatriques. Il a lu des ouvrages techniques. Il cite même KRAEPELIN dans le texte à propos d’une notice sur Salvador DALI et rapporte le traité du célèbre psychiatre allemand, pour étayer la paranoïa du peintre.
Il reprend des phrases de KRAEPELIN in extenso, puis il lit des pages de BLEULER et rappelle que pour celui-ci « le délire paranoïaque tire son origine d’un état affectif chronique (à base de complexe) propice au développement cohérent de certaines erreurs auxquelles le sujet marque un attachement passionnel. La paranoïa suppose, en dernière analyse, une affectivité à forte action de circuit caractérisée par la stabilité de ses réactions et un détournement de la fonction logique de ses voies ordinaires » (Anthologie de l’humour noir - Salvador Dali) (1940).
BRETON a donc une connaissance de la psychiatrie de son temps et même des notions d’une psychopathologie dynamique, celle de BLEULER dont on connaît l’importance dans la description de la schizophrénie sous son aspect évolutif.
Il a, en outre, l’expérience d’établissements de soins dont l’état l’a parfois révolté. C’est ainsi qu’il décrit « l’asile de Vaucluse » (Perray Vaucluse) où il apprend que son ancienne amie Nadja vient d’être internée.
On reproche à BRETON d’être intervenu dans cette vie, mais ayant intuition d’un lien entre vie sociale et vie personnelle, l’écrivain proteste : « L’essentiel est que pour Nadja, je ne pense pas qu’il puisse y avoir une extrême différence entre l’intérieur d’un asile et l’extérieur ».
Cela lui donne occasion d’une acerbe critique de la vie asilaire où il décrit cet enfermement matériel, pire que l’enfermement psychologique « à cause du bruit agaçant d’une clé qu’on tourne dans une serrure, de la misérable vue du jardin, de l’aplomb des gens qui vous interrogent quand vous n’en voudriez pas pour cirer vos chaussures ».
La critique prend une tournure qui choquera les éminences, car BRETON n’hésite pas à citer un honorable, le professeur Henri CLAUDE qu’il a entendu exercer à l’hôpital Sainte Anne. Et là, notre écrivain médecin se souvient des présentations cliniques qui l’ont révulsé. Il en profite pour rapporter un « interrogatoire » où le professeur CLAUDE « avec ce front ignare et cet air buté qui le caractérisent » demande au malade présenté :On vous veut du mal, n’est-ce pas ?"
Non, monsieur
Il ment, la semaine dernière il m’a dit qu’on lui voulait du mal"
Ou encore :Vous entendez des voix, eh ! bien est-ce que ce sont des voix comme la mienne ?
Non monsieur
Bon, il a des hallucinations auditives"
BRETON, y a-t-on déjà songé, s’est révolté de la condition des asiles, bien avant Ervin GOFFMAN, et en a donné une description bien avant le sociologue Robert CASTEL. Il a dénoncé le rôle néfaste de l’institution asilaire : « Il ne faut jamais avoir pénétré dans un asile pour ne pas savoir qu’on y fait les fous tout comme dans ces maisons de correction on fait les bandits ».
Bien avant FOUCAULT, il considère comme « odieux », ces appareils dits de conservation sociale qui, pour une peccadille, un premier manquement extérieur à la bienséance, ou au sens commun, précipitent un sujet quelconque parmi d’autres sujets dont le côtoiement ne peut lui être que néfaste... L’atmosphère des asiles est telle qu’elle ne peut manquer d’exercer l’influence la plus délirante, la plus pernicieuse, sur ceux qu’ils abritent...ceci, complique encore du fait que toute réclamation, toute protestation, tout mouvement d’intolérance, n’aboutit qu’à vous faire taxer d’insociabilité...ne sert qu’à la formation d’un nouveau symptôme contre vous ...(etc) ».
BRETON poursuit sa diatribe sur plusieurs pages et cela ne pouvait donc pas passer inaperçu.
Mais il conclut, avec sa violence que nous avons aperçue dans sa biographie, non seulement sur « le mépris qu’en général (il) porte à la psychiatrie, à ses pompes et à ses œuvres », mais encore il remue quelques propos qui purent sembler subversifs ou inciter au crime quand il écrit :
« Je sais que si j’étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d’une rémission que me laisserait mon délire pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberaient sous la main » (Tous ces textes sur la psychiatrie et la critique des asiles figurent dans Nadja, ouvrage datant de 1928, et donc bien antérieur à Ronald LAING ou David COOPER, les trop fameux antipsychiatres anglais).*André BRETON, Médecin ayant fait expérience de la psychiatrie tant théorique que vécue (il n’y avait à l’époque qu’une neuropsychiatrie qui fut enseignée dans les Facultés) apparaît ainsi comme le précurseur d’un mouvement anti-institutionnel.
De la critique de la psychiatrie à des démélés judiciaires
Nous avons relaté quelques actes de violence et évoqué des propos. Aujourd’hui, tout commentateur resterait un peu humoriste devant ce comportement qui serait jugé juvénile. Mais nos confrères de l’époque prirent la chose très au sérieux. Un certain docteur RODIET eut entre les mains le texte de Nadja, sur les asiles, que nous avons lu. Il estima que " les malheureux psychiatres y étaient copieusement injuriés " et qu’ " on ne peut pas trouver excitation au meurtre mieux caractérisée ". Et le docteur Paul ABELY de demander " un envoi de protestation " à l’éditeur de Nadja et la formation d’un comité de défense du psychiatre, mis en péril par " l’aliéné et sa famille "(sic) qui représentent un " danger endogène " (sic) tandis que des écrits surréalistes s’y ajoutent comme " danger exogène " (sic)
Propos figurant dans les Annales Médico Psychologiques 12è série - T II - Nov 1929).
Dans la foulée, le Docteur DE CLERAMBAULT estime que BRETON est un " Procédiste " (avec P majuscule) ainsi que " les artistes excessiviste qui lancent des modes impertinentes, parfois à l’aide de manifestes condamnant toutes les traditions ". Et le célèbre aliéniste d’estimer qu’il y a " campagne de diffamation " et que " il serait juste que l’autorité qui nous commet nous protégeât ". Un autre psychiatre réclamera " secours, subsides, appui juridique et judiciaire, indemnités, enfin pension parfois permanente et totale " (Docteur GUIRAUD).
Fort heureusement, BRETON échappera à ces menaces d’une intervention judiciaire, probablement grâce à Pierre JANET qui, assistant à la séance où siégeaient ces autorités augustes, indique que, selon lui : " Ces ouvrages des surréalistes sont surtout des confessions d’obsédés et de douteurs ".
Il place donc BRETON dans un contexte psychologique voire quelque peu pathologique. Au reste, déclare Pierre JANET : " Le manifeste des surréalistes comprend une introduction philosophique intéressante " (Société Médico-Psychologique. Séance du 28 octobre 1929, rapportée par l’un des secrétaires, Paul GUIRAUD ). " Procédiste " écrit Gaëtan Gatien De Clérambault. La psychiatrie classique dirait plutôt -processif- ou -quérulent processif-
Or, s’il est vrai que BRETON a dû affronter plusieurs fois des procédures judiciaires, ce fut généralement pour se défendre, non pour attaquer. Certes, il était irascible, comme nous l’avons aperçu en résumant sa biographie, peut-être imbu de ses œuvres et il fut amené à de nombreuses ruptures avec ses amis.
Cela ne paraît pas suffisant pour en faire un paranoïaque. Il y eut plutôt dans son comportement du défi à l’endroit de l’autorité, ce qui relèverait plutôt de l’infantilisme ou du juvénilisme et peut-être de mécanismes psychologiques plus " profonds ". C’est ici qu’interviennent deux idées qui pourraient relever d’une certaine dose de roman, voire de roman pseudo-familial, en tant que BRETON s’est peut-être inventé un personnage de psychiatre et, à coup sûr, une relation si ce n’est une filiation avec la psychanalyse. Il s’impose à nous comme précurseur de ce que BONNAFE stigmatisera, quinze ans après BRETON, sous le nom " d’attitude clinicoïde ".
Il est vrai qu’il était subversif de s’en prendre à un honorable professeur comme l’était Henri CLAUDE, et subversif aussi était le déboulonnage de la dignité en laquelle se drapaient bien des "personnages de psychiatrie "(1).
C’était une cruelle leçon, infligée à des confrères qui pratiquaient une médecine psychologique proche de celle de DIAFOIRUS. La qualité d’observateur et de critique de BRETON en faisait peut-être un humaniste révolté par la condition faite à ces aliénés qui lui apparurent conserver une valeur d’hommes sous les symptômes de « folie » apparente.
BRETON se présente alors comme un être plus clairvoyant que ses collègues (hormis Pierre JANET). Cela lui donnait-il qualité pour les morigener ? On pourra répondre que c’est ici le défaut de la cuirasse et c’est ce que nous nommerons brièvement un roman sinon psychiatrique, du moins psychologique.Le recours à Freud
Clairvoyant, BRETON l’est encore lorsqu’il en appelle à la psychanalyse que les psychiatres français de l’époque méprisaient encore pour la plupart. C’est d’ailleurs, un des motifs de leur rancœur à l’encontre de BRETON : de quoi se mêlait donc cet écrivain, médecin certes, ayant sans doute côtoyé des malades mentaux, mais n’exerçant pas ce métier, n’en encourant pas les danger " endogènes " et donc disqualifié pour en écrire.... ?.
Reste que nous allons être obligés de constater l’intrusion d’éléments fantaisistes dans la psychiatrie ou la psychologie que BRETON a prétendu utiliser. Et c’est ici que nous serons amenés à parler d’un roman psychiatrique chez notre auteur ; c’est à dire le recours à une psychopathologie romancée et même la revendication d’appartenance à un milieu qui prendra valeur de groupe (sinon de familles) de référence.
Il y a probablement alors ébauche d’un roman, dans un sens un peu large mais qui nous paraît rester dans la définition rappelée par LA PLANCHE et PONTALIS : « fantasmes par lesquels le sujet se forge une famille, invente à cette occasion une sorte de roman » (Vocabulaire de la psychanalyse - PUF - 5è ed.
Rappelons tout d’abord que BRETON a lui-même évoqué une enfance difficile et contradictoire. L’homme, dit-il, " s’il garde quelque lucidité " ne peut que se retourner vers son enfance .... massacrée... par le soin des dresseurs ".
On peut frémir devant ce souvenir d’un énorme traumatisme (plus ou moins réel ?), alors que les biographes ne fournissent que peu d’éléments : nous avons rapporté plus haut sa petite enfance bretonne avec ce grand-père, puis son éducation à Pantin par ses parents. Mais BRETON écrit aussi que cette tendance " ne lui semble pas moins pleine de charme ". Et puis, lourde contradiction : " chaque matin des enfants partent sans inquiétude. Tout est près, les pires conditions matérielles sont excellentes "(sic). Et, plus tard : " Ces menaces s’accumulent, on cède, on abandonne une part du terrain à conquérir. Cette imagination qui n’admettait pas de bornes, on ne lui permet plus de s’exercer que selon les lois d’une utilité arbitraire..." 1er manifeste du surréalisme en 1924.
N’est-ce pas ainsi que cette imagination, si bridée, va renaître : sous une forme édulcorée ? Certes l’imagination nous la trouvons en tant qu’inspiratrice de l’œuvre littéraire. Mais on peut penser que c’est elle qui poussera aussi BRETON à recourir à une certaine psychanalyse, c’est à dire telle qu’il la conçoit... et même à un fantasme de filiation envers le fondateur illustre de la psychanalyse.André BRETON aurait, en effet, rendu visite à Vienne à Sigmund FREUD en 1921. FREUD n’en aurait eu qu’un souvenir vague. Mais pour BRETON c’était un voyage qui le valorisait. Dès lors la référence à FREUD va réapparaître de façon répétitive dans son œuvre.
L’œuvre freudienne sert à justifier les procédés surréalistes. Un de ceux-ci, l’utilisation de " l’automatisme hérité des médiums ", s’efforce d’atteindre le champ psychophysique total dont le champ de conscience n’est qu’une faible partie. Freud a montré qu’à cette profondeur abyssale, règnent l’absence de contradiction, la mobilité des investissements émotifs dus au refoulement, l’intemporalité, et le remplacement de la réalité extérieure par la réalité psychique soumise au seul principe de plaisir » Genèse et perspective artistiques du surréalisme - 1941. Alors que c’est la psychanalyse qui -à postériori- s’applique à l’examen d’œuvres artistiques, ici c’est -selon BRETON- l’œuvre d’art (surréaliste) qui découle d’une psychanalyse posée à priori. En effet c’est " grâce aux découvertes de FREUD " que " l’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface.... il y a tout intérêt à les capter... pour les soumettre ensuite... au contrôle de notre raison " 1er manifeste en 1924.Dès lors, André BRETON est autorisé (s’autorise, bien sûr) à donner des leçons aux psychanalystes : " les analystes eux-mêmes n’ont qu’à y gagner " 1er manifeste...
Dans la suite du dit texte, BRETON établit même sa propre théorie du rêve (pages 24 à 29 de notre édition du Sagittaire 1946, soit plus de 5 pages). N’est-il pas " familiarisé " (sic) avec les " méthodes d’examen " de FREUD (sic) grâce à quoi il eut l’occasion de les " pratiquer (sic encore) sur des malades pendant la guerre ". Alors BRETON put obtenir " un monologue de débit aussi rapide que possible... qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée " (sic) p 40.
Par cette méthode " dans certains états mentaux pathologiques.... Le malade... se borne à s’emparer du dernier mot prononcé devant lui ou du dernier membre de phrase surréaliste... " Et le médecin note l’analogie entre Echolalie ou le symptôme de Ganser et la pensée surréaliste.Dans toutes ces descriptions il y a, évidemment, une information sur la psychiatrie -nous le savons- ou sur certains aspects de la psychanalyse. Mais on a bien le sentiment d’un fatras où le poète établit des appartenances de procédés surréalistes à une médecine psychologique qu’il veut identifier à la psychanalyse. En bref, BRETON nous semble chercher à être " de la famille " des psychanalystes (le mot familiarisé " nous saute aux yeux).
Il parle même à la place de FREUD : " plus on approfondit la pathogénie des maladies nerveuses, dit FREUD (sic), plus on aperçoit les relations qui les unissent aux autres phénomènes de la vie psychique de l’homme... l’homme énergique et qui réussit (qui réussit, je laisse bien entendu à FREUD la responsabilité de ce vocabulaire) c’est celui qui parvient à transmuer en réalités les fantaisies du désir. " Second manifeste du surréalisme, Ed. Sagittaire - p. 144-145.
A notre tour, nous laissons à BRETON la responsabilité de son commentaire, ignorant de quel texte de FREUD pourrait bien provenir la pseudo-citation, assurément bizarre...
Mais si notre auteur est ainsi " familier " de FREUD, c’est plus probablement un épisode de son roman. Familiarité qui nous fera comprendre l’émotion de BRETON lorsqu’il croit apprendre l’arrestation de FREUD par les nazis à Vienne en 1938.
Certes, l’indignation de BRETON est sympathique, mais elle relève aussi du roman. Le lendemain, notre écrivain corrige : " l’illustre maître " n’a pas été " désigné à la fureur des inconscients et des chiens " et BRETON est soulagé de savoir FREUD en une vie à laquelle il tient comme à la sienne propre. Ou, plus exactement, il saluera, sur un ton emphatique, avec un nous de majesté " une existence spirituelle à laquelle nous tenons comme à la nôtre. " Trajectoire du rêve - Ed GLM - 1938.Conclusions
Si André BRETON n’a pas proprement écrit un roman familial, au sens strict, les éléments que nous possédons permettent de reconstruire une filiation rêvée ou imaginée de notre auteur à la psychanalyse et à FREUD. Avec celui-ci, il n’eut qu’une courte entrevue de contenu imprécis. Cela n’a pas empêché notre surréaliste de ressentir un " énorme serrement de cœur " in -Trajectoire du rêve-, quand il croit le " maître " en état d’arrestation. Réaction affective assurément excessive, même s’il est humain et légitime de défendre un homme dont on a admiré l’œuvre.
Mais, surtout, BRETON nous paraît avoir dépassé les limites d’une appréciation raisonnable quand il prétend avoir une " familiarité " avec " les techniques »" de FREUD. Il y a là tissage d’une proximité, voire d’un romanesque qui touchent au mécanisme du roman familial.
Dans ce mécanisme, FREUD voyait une forme de paranoïa. La biographie de BRETON nous suggère, en effet, quelques traits paranoïaques : irascibilité, certitude de soi-même, ruptures avec tous ses amis, différents procès, etc...
Certes, on reste dans des limites qui n’ont pas touché au pathologique. Mais peut-on penser que BRETON a cherché à se construire une filiation pour remplacer celle qu’il n’avait pu établir avec la psychiatrie officielle qu’il avait vilipendée (et peut-être pas sans raisons), mais dont les maîtres du temps n’avaient pas accepté la critique ? Alors cette critique nous la recevons aujourd’hui et elle nous touchera d’autant plus que son auteur l’aura écrite sous forme littéraire, voire poétique...
Il resterait à travailler la question des relation de BRETON à la femme. On sait combien cette notion revient, lancinante, dans son œuvre, avec une quête éperdue du désir d’être aimé. Cette recherche culminera dans Arcane 17 (1945), et surtout dans l’Amour fou (1937) dont le titre même est tout un programme. Ce mot de « folie » ne peut pas être innocent chez un écrivain qui a, de si près, approché la psychiatrie.
Mais quelques éléments de biographie nous manquent, nous n’avons pu trouver de référence qui détaillerait les liens d’André BRETON avec sa grand-mère, on ne parle que de ce grand-père qui savait si bien conter. Qu’en fut-il de la grand-mère, puisque la mère manque dans les cinq premières années ? Et déjà, ne peut-on évoquer alors un " défaut fondamental " dans la première enfance ? Plus tard, qu’en fut-il de sa mère ? Qu’on veuille bien excuser notre lacune sur ce point, que des érudits sauront combler sans doute. A moins qu’il n’y eût là encore, un défaut fondamental dans cet « amour primaire » décrit remarquablement par Michaël BALINT, dont l’œuvre de BRETON serait dérivée par une " compensation " ou surcompensation ?. Finalement, la création de cette œuvre aura réussi une belle échappatoire en se sublimant dans une surréalité....Michel Thuilleaux